Souveraineté
L’indépendance
La souveraineté
Mon père n’était pas indépendant
Ouvrier, il dépendait d’un patron pour faire vivre sa famille
Patron qui ne parlait pas sa langue
De grandes décisions qui le concernaient, étaient prises par d’autres, en fonction d’autres intérêts.
Ailleurs
Il était locataire
Ne possédait pas de voiture
Pas de résidence secondaire, pas de chalet
Nous ne partions pas en vacances à l’étranger, ni même au Québec
Il n’a même jamais quitté le Québec
Il n’a jamais pu faire de plan de vie, d’épargne
Il travaillait pour une entreprise étrangère qui le renvoyait chez lui au gré des baisses de demandes liées à la production d’autres produits dont il ne connaissait pas le nom, dans des pays qu’il n’aurait pas su situer sur une carte.
Quand on l’a licencié définitivement, à 50 ans, il ne possédait rien
Sauf sa fierté malmenée, son orgueil bafoué
Son impuissance…
Toute sa vie, on lui a dit quoi faire, où aller et à quelle heure
Souvent, dans une autre langue
On ne l’a jamais consulté
Pas nécessaire
Pas essentiel
Il était un maillon indispensable mais interchangeable, facultatif
Il était dépendant
Un jour, il a entendu un homme dire : ¨On est peut-être quelque chose comme un grand peuple ! ¨
De son point de vue, ça lui semblait exagéré
Ce ne correspondait pas à la réalité qu’il vivait
Mais le ton de cet homme, quelque chose dans l’attitude, son humilité, sont venus toucher un petit quelque chose qu’il n’aurait su nommer mais qu’il ressentait au fond de lui
Un sentiment diffus de faire partie de quelque chose de plus grand
Un groupe, un ensemble,
Le mot nation lui aurait semblé incongru
Un groupe de gens qui partageaient, sur un même territoire, des besoins et des intérêts communs
Cet homme parlait d’un projet simple : décider par et pour nous-mêmes de tout ce qui nous concerne, tout le temps
Il comprit tout de suite ce que ça pourrait changer pour lui
Et il sentait que cet homme était dans son équipe
Que pour la première fois de sa vie, on le conviait à un projet où il aurait un rôle à jouer sur sa propre destinée
Qu’on s’adressait à lui, à ce qu’il était.
Qu’il y avait une place pour lui dans le projet de cet homme
Qu’on le consulterait, qu’on lui demanderait son avis, qu’on lui demanderait ce qu’il en pense
Il comprenait que ça ne le rendrait pas nécessairement beaucoup plus riche mais que désormais, il aurait son mot à dire pour changer les choses qui le concernaient
Et ça, ça lui semblait inestimable
Un trésor
Il a dit oui
ll était fier.
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